La pièce fut écrite entre 433 et 425, durant la guerre du Péloponèse, qui fut atroce pour Athènes. En 429, une peste à Athènes tua Périclès. On identifie souvent OEdipe à Périclès.

Cette pièce est pleine d'énigmes (c'estl'enquête d'Oedipe sur des faits déjà fort anciens). Son héros, Oedipe, est une énigme à lui seul à travers son nom. En effet, ce nom peut avoir plusieurs origines (désolée pour ceux qui n'ont pas fait de grec, c'était une conférence pour Lettres Classiques) :
1. Le verbe oidaô ("gonfler") + pous ("pieds") = "celui qui a les pieds gonflés"
2. oida ("le savoir" en grec) + pous = "l'homme qui sait" (en fait, plus littéralement, "la créature munie de pieds qui sait". Comme seul l'homme a des pieds...)
Ou : vid (sanscrit : "le savoir") + pous = idem
3. oi ("hélas !" en grec) + dipous ("deux pieds") = "l'homme qui souffre" (plutôt "la créature munie de deux pieds qui souffre")

Quel que soit le sens choisi néanmoins, tous mènent à l'homme, Oedipe. A noter que la réponse fournée par Oedipe au Sphynx était "l'homme"...
La pièce est une recherche d'identité : le héros cherche l'identité de quelqu'un et arrive à la conclusion que c'est son identité qu'il poursuit.


La pièce comporte 6 épisodes, c'est à dire beaucoup : c'est le nombre maximal dépisode pour une tragédie. Normalement, le nombre d'épisodes est compris entre 2 et 6.
A chaque épisode, qui correspond à une progression chronologique et une progression de l'enquête, correspond également à un retour dans le passé, chaque retour dans le passé étant antérieur au précédent : le dernier, c'est la naissance d'Oedipe.

Au début de la pièce, les thébains supplient Oedipe de les sauver. Ils sont sur les marches de son palais, ils ont foi en lui. Oedipe est adoré comme un dieu, c'est le sauveur de la cité, et manifestement il a été un roi excellent pendant ces nombreuses années. C'est pourquoi les thébains l'honorent au point de penser qu'il peut régler tous leurs problèmes. A leurs yeux, c'est un héros, presque un dieu : la scène ressemble à une adoration.

Néanmoins, Oedipe a envoyé Créon à Thèbes. Or, lorsqu'une cité va mal, son roi ne doit pas déléguer, et son devoir est de consulter Apollon en personne, non d'y envoyer une membre de sa famille. Lorsque le Sphinx terrifiait Thèbes, Laïos était allé lui-même à Delphes (et n'en était pas revenu). Il en va ainsi dans les autres pièces : le roi doit se déranger en personne quand ses sujets souffrent.
La vérité c'est qu'Oedipe s'est toujours sorti seul de situations difficiles : il a résolu l'énigme du Sphinx, alors que Tirésias, le devin inspiré, la voix d'Apollon, n'a rien fait (Oedipe le lui reprochera dans la pièce). Alors qu'Apollon lui avait prédi qu'il tuerait son père et épouserait sa mère, il a épousé Jocaste, et ses "parents" sont morts. Oedipe commet alors un acte d'hubrice : il cesse de croire en la toute-puissance des dieux, et pense que la peste peut être résolue comme le problème du Sphinx, sans demander l'aide des dieux qui sont incompétents. C'est là le crime d'Oedipe, c'est là son hubrice. D'ailleurs les dieux ne rendent pas toujours service : alors qu'il questionnait Apollon pour savoir s'il n'était réellement pas le fils de ses parents, il s'est vu répondre une prophétie qui n'avait rien à voir avec sa question.
A sa décharge, le roi met en péril sa cité lorsqu'il la quitte, ne serait-ce que parce qu'il court le risque de mourir (pensez à Laïos). Oedipe pense agir pour le mieux, ne se sentant pas obligé de se déranger en personne pour l'oracle.

Néanmoins, il ne néglige pas trop l'avis d'Apollon, et fait venir Tirésias, tout en faisant consulter l'oracle par son beau-frère.

Et étrangement ce dernier est en retard. Le retard restera sans réponse au cours de la pièce. Il fait en sorte que Créon, à son arrivée, est attendu, et donc le centre de la scène. A son arrivée, Oedipe le salue du titre de "anax", qui signifie "roi". En lui confiant une tâche royale (celle de consulter l'oracle quand la cité est en danger), et en lui donnant ce titre, Oedipe ne réalise pas qu'il l'élève au-dessus de lui.
Et en arrivant, que fait-il ? Alors qu'Oedipe l'interroge devant les thébains à ses pieds ? Créon propose à Oedipe de le corrompre, de perdre son intégrité aux yeux des thébains en leur cachant ce qui les concerne le plus. Créon semble chercher à inquiéter Oedipe, comme s'il lui apportait une réponse du dieu qui condamne Oedipe, et qu'il voulait laisser à ce dernier la possibilité de le cacher.
Oedipe ne se laisse pas faire, malgré la curieuse insistance de Créon.
Créon est détenteur d'une chose que tout le monde ignore, Oedipe le prie, il est le chef à ce moment, et il semble s'en réjouir.
Normalement un messager qui consulte un oracle doit, quand on l'interroge, restituer les paroles textuelles de l'oracle, son discours exact. Or Créon tergiverse, parle à demi mot, et finalement à aucun moment on n'a l'énoncé exact de la volonté divine. Oedipe l'interroge, et il répond de façon énigmatique, comme un oracle, avant de passer à une petite leçon d'histoire de Thèbes, concernant le roi précédent.

Il ressort alors qu'à la mort de Laïos, pendant sans doute quelques jours (avant l'arrivée d'Oedipe), Créon était roi. A la fin de la pièce, lorsqu'Oedipe est aveugle, il le redevient.
Or dans toutes les autres pièces traitant de la matière thébaine après le départ d'Oedipe, ce sont ses fils, Eteocle et Polynice, qui lui succèdent, alors que Créon est encore vivant (confer Les Sept contre Thèbes et Antigone).

Dès qu'Oedipe lui reproche le manque d'enquête à la mort de Laïos, Créon quitte la scène. A aucun moment il n'a donné l'oracle mot pour mot.
Une remarque intéressante d'une auditrice pendant la conférence a fait remarquer que la métrique des vers d'Oracle est différente de celle des vers d'une tragédie, donc qu'il était impossible de faire figurer cet oracle tel quel. Néanmoins, Créon s'est un peu trop tu sur ce chapitre.

Est-il allé à Delphes ?

Aux vers 1420 à 1445, Créon exprime clairement son désir de retourner à Delphes intérroger Apollon. A quoi cela rime-t-il ? Apollon a été très clair, si on en croit Créon au début de la pièce : Oedipe doit être banni ou tué ! Poser la même question à l'oracle est impensable, c'est une offense faite au dieu de lui dire qu'on avait mal compris, qu'on veut une confirmation, qu'il faut remplir son rapport en deux exemplaires etc.

Bref, tout porte à croire que Créon n'est pas allé à Delphes, et qu'il savait le crime d'Oedipe, à l'insu de tous. Pour rettrouver son trône perdu, il a profité de la peste pour prétendre qu'Apollon voulait la mort de l'assassin de Laïos, sûr qu'Oedipe, avec sa sagacité, finirait par aboutir sur l'horrible réalité.
Créon s'est vu déposséder de la royauté par Oedipe, il le déteste. Malgré ses discours sophistes sur le pouvoir, il se précipite sur la couronne, et reparait à la fin de la pièce paré des attributs royaux - n'eût-il pas été plus humain d'aller pleurer sur sa soeur défunte, ou consoler son frère aveuglé ? Il n'a pas perdu une seconde pour s'en revêtir.

Son discours final est d'ailleurs ambigu : sous un aspect charitable et compatissant, Créon blesse pourtant Oedipe. Quand on ne vient pas pour se moquer des malheurs d'un autre, lui dit-on directement "Je ne suis pas venu pour rire de toi" ?
Puis il demande à ce qu'on conduise Oedipe au palais. Charité ?
C'est dans ce palais qu'Oedipe a été conçu, est né, et a été condamné à mort, c'est là qu'il s'est uni à sa mère et qu'elle s'est tuée, que ses enfants monstrueux ont vu le jour et ont grandi, que sa victime Laïos à vécu. C'est dans ce palais qu'il s'est privé de la vue, ne pouvant supporter ce qui se présentait à son regard.
Le palais est le lieu de tous les tourments d'Oedipe, c'est le pire endroit où Créon pouvait l'envoyer. Mais Créon a attendu des années sa vengeance, et la savoure cruellement.

Encore deux arguments :
1. Ne trouvez-vous pas étrange que la vengeance d'Apollon frappe des années après (Oedipe a déjà 4 enfants, il s'est bien écoulé 10 ans !). En fait, la peste est un phénomène naturel ou lié à autre chose, et Créon prend ce prétexte. Puis, craignant de courroucer les dieux en traitant de façon cruelle Oedipe, il décide de consulter une première fois (et non une deuxième comme il le fait croire) l'oracle de Delphes. Si Oedipe avait été dévoilé assassin de Laïos (et Créon pouvait sans doute le prouver), les thébains ne l'auraient peut-être pas chassé de la cité, sachant tout ce qu'ils lui devaient. C'est pourquoi Créon a dû attendre qu'une catastrophe se produise pour exiger le départ d'Oedipe, auquel plus personne ne peut s'opposer. Mais les thébains manifestent encore un immense respect pour leur ancien roi. Peut-être même Créon a-t-il inventé la peste, en s'y prenant habilement ( personnellement moi j'ai du mal à le croire, mais je répète ce qu'a dit mon conférencier) ?

2. En grec, le participe "kréôn" signifie "celui qui prend le pouvoir".

Oedipe-roi, ce n'est pas seulement l'enquête d'Oedipe, c'est aussi, présenté en filigramme comme une énigme dans tout le texte, c'est surtout la vengeance de Créon

Merci de votre attention.

Quand Oeil-de-Nuit meurt, bordel, qu'est-ce que j'ai chialé XD C'est tellement bien écrit en plus, ce passage T.T