Je n'étais pas vraiment prêt à parler d'Henri Beyle. Qui cela, me direz-vous ? Et La Vie d'Henry Brulard, ça ne vous dit rien ? Oui, il s'agit de l'œuvre autobiographique de Stendhal - cet écrivain, dont les trois composantes indissociables du bonheur sont l'Italie, la musique et l'amour (le petit Stendhal multiplie les conquêtes amoureuses, mais va aussi de conquêtes en déception et déboires financiers), composantes qu’il découvre à Milan, ville où il vécut quelques années. De son enfance solitaire et studieuse, Stendhal ne conserve plus tard que le souvenir d'une odieuse « tyrannie » exercée par son père et son précepteur, tempérée par quelques affections : celles de sa mère et de son grand-père qui lui insuffle l’esprit de liberté hérité des « philosophes ». Bientôt révolté, il ne supporte plus l’atmosphère religieuse et bien-pensante qui règne dans sa famille, et trouve refuge dans l’étude des mathématiques. Il conçoit une haine pour son père, pour la religion et la monarchie.
Stendhal a calqué la personnalité de ses personnages sur la sienne, et inversement a calqué sa personnalité sur celle de ses personnages. Fabrice Del Dongo, dans La Chartreuse de Parme, comme Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir, sont à la recherche du bonheur et d’un monde meilleur. Stendhal a renouvelé l’art du roman en faisant intervenir une analyse psychologique extrêmement fine et détaillée.
Dans Souvenirs d’égotisme – un terme dépréciatif : se croire meilleur que les autres, défaut qui consiste à parler de soi à tout rompre – , Stendhal éprouve le besoin d’écrire et de se mettre en avant.
En fait, assoiffé de bonheur, Stendhal n’a guère été heureux. Il n’a eu qu’une gloire posthume, son œuvre laissant la plupart de ses contemporains indifférents, tout comme Maesticia laissa indifférente en ce jour tragique ; pendue par la foule en délire, il ne lui reste qu’à lui souhaiter une fin digne de Stendhal : aujourd’hui, ce dernier est reconnu comme l’un des écrivains majeurs du XIXème siècle. Mais laissons-le(s ?) s’exprimer un dernier instant :

« Malgré les malheurs de mon ambition, je ne crois point les hommes méchants ; je ne me crois point persécuté par eux, je les regarder comme des machines poussées, en France, par la vanité et, ailleurs, par toutes les passions, la vanité y comprise.
Je ne me connais point moi-même et c’est ce qui quelquefois, la nuit quand j’y pense, me désole. Suis-je bon, méchant, spirituel, bête ? Ai-je su tirer un bon parti des hasards au milieu desquels m’a jeté et la toute-puissance de Napoléon (que toujours j’adorai) en 1810, et la chute que nous fîmes dans la boue en 1814, et notre effort pour en sortir en 1830 ? Je crains bien que non, j’ai agi par humeur, au hasard. »

Stendhal, Souvenirs d’égotisme [écrit en 1832 publié en 1893], extrait du chapitre 1.